Darfour, les Cles pour la Paix

Liberation, 13 Avril 2005

Les événements récents sont porteurs d'espoir pour le Soudan. La signature de l'accord global de paix (AGP) entre le gouvernement de Khartoum et le Mouvement de libération du Soudan (MLS) le 9 janvier a mis un terme au conflit vieux de vingt et un ans entre le nord et le sud du pays. Plus de 2 millions de personnes ont péri au cours de ce conflit qui donna naissance à plus de 4 millions de réfugiés et de personnes déplacées. Mais le Soudan a d'autres problèmes qui nécessitent une attention immédiate. La violence continue à sévir dans l'ouest du Darfour et il est urgent d'agir pour que les progrès survenus dans le conflit Nord-Sud puissent servir de contexte favorable à l'établissement d'une paix durable. Comme beaucoup l'ont déjà dit avant moi, la paix au Soudan est indivisible.

En seulement sept jours, le mois dernier, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté trois résolutions concernant l'AGP et le conflit au Darfour. Le 24 mars, le Conseil de sécurité a voté la résolution numéro 1590 qui autorise l'envoi de 10 000 hommes pour stabiliser le Darfour et superviser la mise en place du processus de paix dans le sud du pays. Cinq jours plus tard, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1591 qui prévoit la mise en place de sanctions contre toute partie participant à la militarisation du Darfour. Puis, le 31 mars, le Conseil de sécurité a déféré au procureur de la Cour pénale internationale les poursuites pour crimes de guerre au Soudan. Réunies, ces trois résolutions forment les fondations d'une approche nouvelle et énergique.

La sécurité au Darfour et dans les autres régions déstabilisées du pays doit être assurée avant qu'une solution politique et économique puisse être mise en place pour relever les immenses défis auxquels cette nation déchirée par la guerre doit faire face. Le Darfour requiert une stratégie en trois temps : le déploiement d'une force de sécurité internationale de plus grande ampleur, un accord politique entre les rebelles et le gouvernement soudanais, et un plan à long terme pour le développement durable comme fondement de la croissance économique future et de la lutte contre la pauvreté.

Avant tout, le Darfour a besoin de paix. Les attaques perpétrées par les rebelles et milices armées ont profondément perturbé le travail humanitaire mené ces derniers mois. Près de 2 millions de personnes déplacées et de réfugiés ont dû fuir leurs villages. La situation n'est pas aussi critique que pendant le premier semestre 2004 lorsque des massacres de grande envergure et de vastes déplacements de population eurent lieu, mais le cessez-le-feu n'a pas été respecté et les combats se poursuivent. Il est impératif d'agir.

Assurer la sécurité de la région est un préalable indispensable pour pouvoir combattre les maux du pays, et seule une force internationale d'envergure peut apporter cette stabilité. Les 3 000 soldats de l'Union africaine actuellement au Darfour ne sont tout simplement pas suffisants pour empêcher la violence. Comme l'a reconnu le Conseil de sécurité en votant la résolution 1590, une force de plus grande ampleur est nécessaire. Les troupes doivent être déployées dans et autour de tous les camps de personnes déplacées, sur toutes les routes que les convois humanitaires et commerciaux empruntent, dans toutes les zones bientôt démilitarisées, et dans tous les endroits où les réfugiés et personnes déplacées retourneront à l'avenir. Toutes les parties ­ l'Union africaine comme le Conseil de sécurité ­ doivent trouver des moyens créatifs pour faire évoluer les troupes internationales au Darfour en une force capable de mettre un terme à la violence. Mobiliser une force puissante capable de servir de tampon entre les parties en conflit et entre combattants et civils devrait être la première des priorités pour la communauté internationale.

Lorsque la sécurité sera assurée sur le terrain, des négociations entre factions rebelles et le gouvernement du Soudan devront être engagées le plus tôt possible. Une solution politique entre ces deux parties est la clé d'une paix durable dans la région. L'accord politique entre le Nord et le Sud trouvé dans le cadre de l'AGP pourrait servir de modèle pour les acteurs phares du Darfour. Réciproquement, l'absence de solution politique au Darfour pourrait mettre en danger la fragile paix entre Nord et Sud.

Des solutions politiques et économiques ne sont pas suffisantes pour un pays qui a été ravagé par la guerre pendant plusieurs décennies. Dès que la paix sera une réalité au Darfour et dans les autres zones de conflit, un programme de déminage doit être initié pour que les agriculteurs puissent cultiver leurs champs et les enfants y jouer librement. Aussi, le retour chez eux des personnes déplacées et des réfugiés doit aller de pair avec la réintégration des soldats démobilisés.

Le développement durable de la région nécessitera la reconstruction des infrastructures détruites, la réhabilitation des moyens de production et des structures sociales, la réconciliation des parties adverses et la garantie que les besoins primaires de la population seront satisfaits à l'avenir. Cet ensemble de mesures doit faire partie d'une approche globale visant à remplacer un soutien momentané venu de l'extérieur par un développement durable stimulé de l'intérieur. Cela exigera une gouvernance économique et politique de qualité, le respect de la loi, la réforme des institutions étatiques, la garantie des droits de l'homme, et des pas supplémentaires vers la démocratie. Tout comme la paix, le développement est indivisible.

C'est un défi immense pour une nation en pleine reconstruction, cinquante ans après son indépendance suivant une longue période de colonisation. Les Soudanais vont devoir rebâtir leur pays essentiellement par eux-mêmes. C'est leur pays, leur paix, leur avenir. Mais les Soudanais ont besoin d'aide et ils sont en droit d'attendre que la communauté internationale ne ferme pas les yeux sur leur combat pour la fin du nettoyage ethnique et pour la mise en place d'une paix durable. La communauté internationale a l'obligation de leur accorder ce droit.